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Gillet Rémy / (58) Nièvre / Personne tuée / Autre / 01.11.1952

Nom: GILLET Rémy
Âge: 76 ans
Adresse: (58) Nièvre
Date: 01.11.1952
Incident: Person killed
Activity: Walking

Tu m’as demandé l’autre jour pourquoi je n’aimais pas les chasseurs. « Parce qu’ils sont méchants et qu’ils tuent des animaux – certains pour les manger : les biches et les cerfs, les chevreuils, les sangliers, d’autres uniquement pour le plaisir de les tuer : les blaireaux, les fouines, les renards … », t’ai-je répondu. Mais la vraie raison, je vais te la dire aujourd’hui – sinon, bientôt plus personne ne pensera à lui, plus personne ne saura qu’il s’appelait Joël et que c’était mon copain. Mais c’était il y a bien longtemps. Et pourtant, depuis bientôt soixante-dix ans, je pense à lui, même si je n’en ai jamais parlé à personne depuis ces tristes jours de l’automne 1952. Et eux, je ne les ai pas oubliés non plus ; je les revois et je revois les gendarmes qui ont enquêté … Ils sont morts aujourd’hui, ces cinq « courageux » chasseurs – j’aimerais croire que des meutes d’animaux sauvages les harcèlent en enfer ! Mais sur leurs tombes, des plaques ont été déposées avec ces inscriptions : « A notre ami chasseur », « Tes amis chasseurs ne t’oublient pas ». D’autres plaques représentent par exemple un chasseur visant un chevreuil ou un chasseur avec son chien à l’arrêt qui vient de lever une perdrix … Comment peut-on ainsi valoriser les œuvres de mort ?!

C’était donc il y a longtemps, bien longtemps. A quelques jours près nous avions le même âge. Huit ans. Nous fréquentions la même école d’un petit village de la Puisaye nivernaise et étions assis côte à côte à la même table. Tu sais, Louison, ces tables en bois au plateau incliné qui se soulevait, découvrant un casier où nous rangions les affaires dont nous n’avions pas immédiatement besoin. Le bord supérieur était percé d’un trou pour y placer un encrier. En début de semaine, à tour de rôle, nous devions
préparer deux bouteilles d’encre, une d’encre violette pour les élèves et une d’encre rouge pour le maître. Nous prenions de
l’eau, dans la cour, à une pompe en fonte avec un « bras » que l’on actionnait à la main, et y mélangions une dose de colorant en poudre … A cette époque, chacun apportait aussi à l’école, une bûche pour faire du feu en hiver dans un grand–gros poêle entouré d’une grille pour que nous ne nous en approchions pas et ne risquions pas de nous brûler … Je n’ai pas de photos de mon école, des tables, de la pompe ou du poêle – j’ai « emprunté » ces photos à Internet : dans mes souvenirs ça y ressemble beaucoup …

Joël et moi, nous jouions souvent ensemble le jeudi, – autrefois nous n’avions pas classe le jeudi – , le dimanche et pendant les vacances, aux cow-boys et aux Indiens. Nous, on était toujours les Indiens car nous trouvions sur place bois de noisetier et ficelle pour nous bricoler des arcs et des flèches et des plumes que nos mères cousaient à un ruban pour orner nos têtes … Nous avions même réussi à nous fabriquer un calumet et fumions du tabac gris que je dérobais à mon père. Faute de tabac, nous ne manquions pas de foin ! … Les cow-boys n’existaient que dans notre imagination car le Père Noël, malgré nos demandes renouvelées, ne nous avait jamais apporté ni colts ni carabines.

Nos fermes étaient voisines et nous jouions chez l’un ou chez l’autre, nous « chevauchions » de fougueux mustangs à travers champs, prés et forêts. Nos vaches étaient des bisons et notre chienne, Mirette, nous aidait à pister toutes sortes d’animaux sauvages, – nos chèvres et nos moutons étaient des caribous, des loups et des ours – , voire des « visages pâles » qui osaient
s’aventurer dans nos territoires. Mon frère Michel, plus jeune que nous, nous accompagnait parfois mais nous arrivions souvent à le semer si bien qu’il rentrait à la maison en nous maudissant …

Un jour que nous suivions la piste d’un énorme grizzly, nous aperçûmes à la lisière de la forêt, cinq « visages pâles » armés de
fusils. Nous les suivîmes un instant silencieusement, cachés derrière une haie, quand l’un de nous deux marcha sur une branche
morte. Au bruit qu’elle fit en se brisant succéda immédiatement le tonnerre d’un coup de feu : l’un des chasseurs avait tiré « au juger » à travers la haie ! Je revois Joël tomber à terre, sur les genoux ; il se tenait la poitrine et râlait, les yeux révulsés. Du sang rougissait sa chemise. Il tendit une main vers moi, voulut me dire quelque chose et s’affala sur lui-même. Les chasseurs qui avaient traversé la haie pour voir quel animal ils avaient abattu, se rendant compte qu’ils l’avaient tué, me menacèrent de tuer mon père, ma mère, mon frère et moi en dernier si je les dénonçais et ils me laissèrent seul avec mon copain qui agonisait ! Combien de temps suis-je resté là, à côté de lui, ne sachant que faire – et d’ailleurs incapable de faire quelque chose : je l’ignore. Sûrement longtemps car mes parents commençaient à s’inquiéter quand j’arrivai enfin à la maison dans un état physique et mental effroyable. Je ne pouvais pas prononcer un seul mot, je pris mon père par la main et le conduisis jusqu’à Joël … Je délirai pendant une quinzaine de jours, faisant d’horribles cauchemars, rejetant ce que ma mère essayait de me faire manger, maigrissant, assommé par les calmants qu’avait prescrits le médecin … Je finis par dire qui ils étaient car je les connaissais bien même si j’ignorais qui avait tiré : il y avait le premier adjoint, le boucher, un commis boulanger, l’aubergiste et le maréchal-ferrant. Les gendarmes les interrogèrent mais que valait la parole d’un gamin de huit ans, traumatisé par la mort de son copain, contre leurs paroles à eux, gens respectables, au-dessus de tout soupçon. D’ailleurs ce jour-là, ils chassaient soi-disant à 10 km de là, à l’autre bout de la commune – comme l’attestèrent 3 ou 4 de leurs amis. On ne procéda même pas à une enquête balistique – qui n’aurait rien donné car ils avaient eu tout le temps de prendre leurs dispositions. L’affaire fut donc classée : sa mort fut déclarée non comme « accident de chasse » mais comme « mort accidentelle » !

N’ayant pu obtenir justice, ses parents vendirent leur ferme et allèrent s’installer au Canada où ils firent transférer le corps de leur
fils assassiné. Sa sœur aînée et moi avons longtemps correspondu, puis nos échanges s’espacèrent et dans tous mes déménagements j’ai fini par perdre leurs coordonnées …

Tu comprends pourquoi je n’aime pas les chasseurs. Non seulement ils tuent des animaux mais ils tuent aussi chaque année des enfants, des femmes, des hommes. « Par accident » disent-ils !!!

Et la chasse serait « un droit démocratique » , disent-ils aussi ! Tu parles ! Ils sont moins d’un million qui prennent en otages 65 millions de Français avec la complicité des politiques ! Il faudra bien qu’enfin on en finisse avec la chasse sous toutes ses formes, avec la corrida, avec toutes les œuvres de mort pour que VIVE LA VIE !

C’était mon copain. Il s’appelait Joël. Nous avions huit ans …